Outils pilotés par les agricultrices, développement de tableaux de bord et l’avenir de l’agriculture
Coady International Institute
Tant au sein du foyer que dans la sphère publique, le travail des femmes est souvent invisible, sous-évalué et non rémunéré. Dans l’agriculture, le travail fourni par les femmes est rarement considéré en termes économiques et reste beaucoup moins visible que les rôles transactionnels liés au marché occupés par les hommes. Les femmes sont également confrontées à des obstacles de genre qui ont une incidence sur la prise de décisions et les possibilités. Par exemple, il est rare que les femmes aient accès au crédit ou aux prêts. Sans prêts abordables, les femmes ont moins de pouvoir de décision et de flexibilité, et peuvent donc se sentir contraintes de prendre des décisions inopportunes comme vendre leurs produits à un prix inférieur à leur juste valeur. En outre, une partie de l’achat et de la vente de produits se fait dans les marchés à la nuit tombée, un moment où il est dangereux pour les femmes de voyager en raison du risque de violence fondée sur le genre et des perceptions culturelles.
Soutenu par le FIT, le Coady International Institute et ses partenaires locaux, notamment la Self-Employed Women’s Association (SEWA) et l’ICRAF (Centre mondial d’agroforesterie), testent une innovation, en Inde et au Kenya respectivement, qui vise à positionner les petites agricultrices au centre de la chaîne de valeur. En améliorant la littératie financière des femmes et en leur donnant les outils nécessaires pour recueillir des données et suivre les revenus et les dépenses, l’innovation tente d’améliorer la productivité agricole et les revenus des agricultrices, tout en renforçant leur confiance et leur capacité à influencer les décisions en matière d’agriculture et de commercialisation.
«Au cœur de cette innovation se trouve la démystification des concepts et des idées de base des entreprises », a déclaré Yogesh Ghore, responsable de programme et leader du projet pour le Coady Institute. « Comment donner aux femmes opérant de petites exploitations agricoles, dont certaines sont analphabètes, les moyens de devenir des entrepreneures prospères ? »
La solution : un seau qui fuit, une technologie pour faire le suivi des données et des leaders dans la communauté locale.
L’outil du seau qui fuit est un exercice participatif qui peut être utilisé par les agricultrices avec peu ou pas d’éducation formelle. Il utilise l’image d’un seau avec des flux qui entrent (représentant le revenu agricole) et des fuites (représentant les dépenses) pour mesurer la rentabilité. Il est également conçu pour mettre en lumière les réalités des petites exploitations agricoles familiales, la division du travail en fonction du genre et les inégalités inhérentes entre les genres.
Dans le cadre de l’exercice, les agricultrices ont énuméré chaque élément de l’activité agricole (désherbage, irrigation, etc.) et identifié les membres de la famille impliqués. Lorsqu’est venu le temps de se rappeler les dépenses pour l’achat de semences ou d’engrais, elles ont systématiquement consulté les hommes du ménage, puisque ce sont les hommes qui effectuent les transactions sur le marché. Les calculs des dépenses de la ferme (y compris le travail) ont révélé des informations sur le travail non rémunéré et invisible des femmes, qui n’est souvent pas comptabilisé dans les dépenses. Cela a créé un moment de prise de conscience chez les femmes elles-mêmes, ainsi que chez les autres membres de leur foyer.
« Le rôle de Coady dans ce projet est de faciliter un processus qui permet aux agricultrices d’être des chercheuses et des expertes dans la compréhension des complexités de la chaîne de valeur et du marché, et de prendre des décisions éclairées concernant leurs micro-entreprises sur cette base-là », a déclaré Ghore.
En plus de l’outil du seau qui fuit, Coady a également développé un outil numérique sous la forme d’une application mobile qui assure le suivi des revenus et des dépenses agricoles. Cette documentation détaillée permet aux agricultrices de déterminer où elles peuvent réduire les coûts, comparer leurs données avec leurs pairs, réduire les pertes après récolte, identifier de nouveaux marchés et établir un profil financier pour accéder au crédit et à d’autres services.
« Il est important pour nous d’être dans des partenariats locaux qui soutiennent les agricultrices locales dans leur propre transition vers des rôles de prise de décision et entrepreneuriaux », a déclaré Ghore.
De plus, s’organiser en collectifs — des groupes d’agricultrices ayant des objectifs communs — est l’une des orientations que les agricultrices ont mises de l’avant. Maintenant qu’elles ont une meilleure compréhension des revenus, elles sont mieux placées pour trouver des façons de surmonter les obstacles qui les empêchent de gagner leur vie. En formant des groupes d’agricultrices, elles peuvent vendre en vrac, avoir plus de poids pour négocier de meilleurs prix et prendre des décisions éclairées.
«Ces collectifs ont permis aux agricultrices d’accéder à de plus grands marchés — ce qu’elles ne seraient pas en mesure de faire par elles-mêmes. Nous avons entendu les agricultrices parler des coûts, comparer les prix qu’elles paient, conserver des registres ou parler de ce qu’elles ont gagné en tant que membre du groupe par rapport à ce qu’elles auraient dû payer comme agricultrice individuellement. Elles n’avaient jamais parlé de ça auparavant. Elles comprennent maintenant la chaîne de valeur et comment renforcer leur rôle dans celle-ci », a déclaré Mansi Shah de la Self-Employed Women’s Association (SEWA).
Jusqu’à présent, l’outil du seau qui fuit a été testé auprès de 400 agricultrices productrices de légumes et de 400 agricultrices productrices de sel dans l’État de Gujrat en Inde et dans leurs foyers. À la fin de la période d’essai, Coady vise à disposer d’un programme de formation éprouvé, ainsi que d’un tableau de bord des indicateurs produits par les femmes et des outils numériques qui seront mis à l’échelle sur plusieurs sites de projet dans plusieurs pays.